Pour vivre vieux !
J’ai un voisin. En fait, j’en ai plusieurs mais ils ne ressemblent pas à celui dont je veux parler ici. De ma grande fenêtre avant je vois sa demeure. Sa maison ressemble à un devant de chalet suisse avec un toit quelque peu prolongé et avec la neige, il ne manque que les montagnes.
C’est sobre presque pas pour ne pas dire sans décoration floral l’été ou lumineuse l’hiver. Propre et bien entretenu. Je crois qu’il travaillait chez Hydro Québec car il a gardé son manteau sécurité et son chapeau qu’il porte à l’occasion s’il juge que la sécurité est en jeu. Je suis certain qu’il devait être un employé consciencieux, super prudent qui n’a pas dû avoir beaucoup d’accidents de travail. Pas grand monde qui entre là. Il fait ses affaires et ne s’occupe pas de celles des autres. Je ne sais pas s’il a une opinion sur ce qui se passe dans les échelons supérieurs.
Bien que vivant en ville…faut dire que Shawinigan Sud est une belle petite ville tranquille, qui ne ressemble pas du tout à ces grandes cités super actives et survoltées. Il vit comme dans un petit village.
* Correction : Shawinigan Sud, ville faisant anciennement…avant 2002 fait maintenant partie de la Grande agglomération de Shawinigan qui compte sept municipalités regroupées pour une population d’environ 50 000 habitants étalés sur un grand territoire nord-sud, qui va de Mont-Carmel jusqu’au Parc National de la Mauricie et pour l’axe est-ouest du Lac à la Tortue jusqu’à St-Boniface. La rivière St Maurice touche à presque toutes les villes fusionnées sauf celle de St Gérard des Laurentides qui elle est traversée par la Rivière Shawinigan.
Je reviens à mon voisin. Ce matin, lendemain de tempête, il fait encore -20 C, le monsieur s’occupe à souffler la neige…je dirais s’amuse avec son jouet à projeter cette poudreuse le plus loin possible sur son grand terrain qui lui permet cette fantaisie. Je regarde cette homme, qui contrairement à moi, semble capable de rester à la maison et s’occuper à toutes sortes de menues tâches qui font son quotidien.
Il n’y a pas très longtemps la neige il la pelletait ou la poussait avec son traîneau à neige. Patiemment, doucement sans faire trop d’efforts il nettoyait le devant, le côté, l’arrière de sa maison. Il poussait la neige loin sur son terrain vacant. Chaque jour il en faisait un peu.
Il s’adapte… mais lentement. Je dirais que c’est l’âge qui lui donne la permission de se faire un cadeau mécanique pour pouvoir encore longtemps profiter du plein air. Il est certainement un octogénaire.
Il chauffe au bois. Du bois qu’il se fait livrer mais qu’il coupe en plus petites bûches, qu’il corde proprement au fond de sa cour.
L’an passé, je l’ai vu, jour après jour, dessoucher un tronc d’arbre en façade de sa maison. Quotidiennement avec sa hache il coupait les racines et vérifiait la mobilité. Le soir, il nettoyait les copeaux, rangeait ses outils et pensait à sa prochaine étape du lendemain.
L’automne, il ramasse les feuilles, il taille sa haie, calfeutre ses fenêtres ou les recouvre de plastic, etc
L’été c’est les retouches de peinture sur les galeries, la tonte fréquente du gazon, l’entretien de son camion et de sa vieille voiture 1985, un Grand Marquis de Mercury, rutilante comme une belle d’autrefois qui refuse de vieillir, etc.
Il ne semble pas porter sur les fleurs parce qu’il n’y a aucune plate bande qui orne son environnement.
Une fois je suis allé chez lui à la suite d’une rencontre fortuite pour moi…mais pour lui, je dirais calculée, car je passe régulièrement devant chez lui en prenant mes marches santé. Toujours est-il que j’ai été invité à rentrer….par la porte arrière qui donne dans le sous-sol, où je dirais qu’il a son « coin ». Tout est super rangé…étagères, établi, outils, et table de lecture etc. Je ne me souviens pas d’avoir vu un radio ou une télé. Un poêle à bois siège dans le milieu de la place comme un roi Soleil qui réchauffe son royaume. Il m’avait invité pour me remettre une vieille photo historique dont je ne me rappelle pas le sujet. J’étais comme le transit pour la remettre à la Société d’histoire locale.
Le Monsieur dont je connais la famille est, comme moi, originaire d’Almaville en Bas, un beau petit village en bordure de la rivière et, qui, dans les années 50, années de mon enfance, possédait tous les services dont une communauté avait besoin, sauf bien sûr les grands magasins « virtuels » de l’époque…Eaton et Sears qui offraient leurs marchandises via les catalogues.
Son père était propriétaire de la « pool room » , petit commerce de salle de billard avec des friandises, de la crème glacée et une chaise pour le barbier. C’était la première place pour les gars!
C’est certainement à cause de ce lien que j’ai pu avoir accès à ce contact avec ce petit homme retiré et discret.
Son comportement me ramène à des films anciens genre Manon des Sources, réalisé par Claude Berri (1986) d’après un roman de Marcel Pagnol, ou bien les romans de Giono dans les campagnes profondes de la Provence. Tu vis un quotidien collé à ton environnement immédiat avec les objets, la terre, les gens, les institutions qui vivent avec toi en dehors comme en dedans. Des situations faciles, habituelles, non stressantes et qui te permettent de vivre longtemps, longtemps sans que le temps t’attaque trop vite.
Un genre de simplicité non volontaire qui s’incruste dans tes comportements comme une respiration équilibrée sans soubresaut.
Il faudra qu’un jour je le rencontre et que je parle avec lui pour mieux comprendre ce cheminement que je trouve quelque peu hors contexte par rapport au tourbillon moderne des appareils électroniques qui, bien qu’elles nous permettent d’être en contact avec le monde entier…. nous isolent derrière les écrans de toutes sortes : télévisions, I Pod, I Touch, I Pad, I Phone, etc.
Seul dans une multitude ou seul dans sa solitude et heureux ?
ajb